par Chems Eddine Chitour
«J'écris en français, mieux que les Français, pour dire que je ne suis pas français». ~ Kateb Yacine
«Après l'Indépendance, des hommes de vision ont montré le seul chemin, celui de la réconciliation, du développement, de l'avenir. Malgré les obstacles et les hésitations, la coopération entre nos deux pays est devenue petit à petit une réalité. Le temps de l'Indépendance ne fut jamais celui de la rupture». ~ Jacques Chirac, discours devant le Parlement algérien, Alger le 3 mars 2003
Résumé
Dans cette nouvelle contribution, nous allons, en honnêtes courtiers, nous allons rapporter les manquements d'un pouvoir colonial à l'endroit des Algériens concernant l'éducation. Tout à a été fait, pour laisser les Algériens plongés dans l'analphabétisme, par un entreprise délibérée et pleine d'imagination. En effet, le maréchal Clauzel a décidé en septembre 1830, de supprimer les enseignements des zaouias en rattachant les habous (biens de main morte, un peux come les biens de l'Église), l'administration ; Ce qui a fait dire à Alexis de Tocqueville chargé d'une enquête parlementaire : «Autour de nous les lumières sont atteintes... nous avons laissé tomber les écoles et dispersé les séminaires».
Nous ferons le point du système éducatif colonial imposé aux Algériens et nous montrerons qu'en 1962, l'Algérie avec un retard abyssal : à peine 20% d'une classe d'âge allait à l'École ! Nous donnerons en suite une idée des efforts entrepris à l'indépendance, pour rattraper cette soif de savoir, en faisant appel à la coopération et là nous ne pouvons ne pas rendre hommage aux coopérants notamment français qui sont venus dans le cadre VSNA aider l'Algérie. Nous terminerons, ensuite sur l'apport de l'Algérie après 1962 à la fois pour le rayonnement de la langue française ; en maintenant le français dans le système éducatif, mais aussi dans le cadre d'une émigration choisie (body shopping) continuer à apporter par ses diplômés un rayonnement scientifique à la France. La reconnaissance de la France de ses fautes, est le seul chemin pour l'apaisement des mémoires et à terme, la construction d'un avenir commun dans cette région méditerranéenne où l'Algérie est la nation indispensable.
Les fausses certitudes autoproclamées du pouvoir colonial
Il est nécessaire de ce fait, de faire un état des lieux de l'éducation et de la culture de ce pays durant 132 ans les historiens occidentaux «organiques» ont, à de rares exceptions, milité avec un zèle de bénédictin pour «l'utopie de la terre vierge et le mythe de la table rase (tabula rasa). Ainsi pour Guernier qui proclamait : «À notre arrivée en Algérie, rien n'existait sur le plan intellectuel, si ce n'est que quelques écoles coraniques». 1
«Bien plus tard le pouvoir colonial, fut à réviser leur jugement ; en effet plusieurs enquêtes sur le terrain ont montré que le peuple algérien était instruit dans la même proportion, au moins que, celle du peuple français». 2
Ce n'était donc pas des barbares ! Il paraît établi, en effet, que la ville de Constantine a eu ses livres et manuscrits brûlés lors de la prise de la ville le 13 octobre 1837. : «Nous-mêmes, après la prise de Constantine, en 1837, nous brûlions comme de vrais barbares, les manuscrits arabes trouvés dans la ville». 3
La froide barbarie n'était donc pas, du côté algérien, si on en juge, par ces quelques phrases relatives, à l'œuvre pacificatrice de l'armée française : «J'ai entendu raconter par un officier des plus brillants de l'armée d'Afrique, qu'il avait souvent déjeuné avec son général, sans songer qu'on avait jeté dans un coin de sa tente plusieurs sacs remplis de têtes coupées. On s'habitue à tout et nous n'y pensions plus». 4
Le type d'enseignement qui existait donc avant 1830 était similaire celui des écoles européennes, des couvents et autres universités théologiques européennes. «L'instruction élémentaire est pour le moins aussi répandu chez eux (les Algériens), que chez nous. Il y a des écoles de lecture et d'écriture dans la plus part des villages et des douars». 5
«...Tous les Musulmans d'Alger sont plus instruits qu'en aucune partie de la Barbarie. Il y avait 100 écoles publiques et particulières dans Alger avant notre entrée». 6
Le mythe des races supérieures en action
L'idéologie coloniale n'a cessé de marteler sa vision de l'histoire de l'Algérie. Après avoir fait appel à la civilisation romaine latine chrétienne, le pouvoir colonial d'un trait de plume survolait un millénaire pour vilipender des pirates barbaresques. Il a en échange amené la civilisation et le progrès à des indigènes incultes et barbares. Implicitement, dans cette théorie les conquérants appartenaient à une «race supérieure» et les colons européens étaient des élus ; pour reprendre la phrase de S.Gsell : «les colons avaient reçu de l'histoire les devoirs inébranlables d'être les maîtres partout». Cette histoire véhiculée par la faculté des lettres d'Alger, privilégiait l'influence européenne, romaine chrétienne, et française. Elle considérait comme décadent ce qui n'avait pas de rapport avec l'Occident». 7
Cette certitude auto-proclamée de dicter la norme au nom du mythe de l'appartenance à la race élue, Max Weber s'est inscrit en faux contre, en écrivant : «Une nation pardonne toujours les préjudices matériels qu'on lui fait subir, mais non une atteinte portée à son honneur, surtout lorsqu'on emploie la manière d'un prédicateur qui veut avoir raison à tout prix». ~ M. Weber : «Le Savant et le Politique». Edts Enag. Alger. 1991.
La conception de la culture et de l'éducation pour les Indigènes s'inspire de celle prônée par la politique du talon de fer. Lacheraf cite les propos tenus par le colonel Charles Richard chef du bureau arabe d'Orléanville en 1845 : «Il nous faut d'abord mettre ce peuple sous nos pieds, pour qu'il sente bien notre poids, mais diminuer ensuite peu à peu la pression, et lui permettre enfin, après des siècles, de se dresser à notre hauteur et de marcher avec nous sur la grande voie du progrès humain». 8
Bref survol du système éducatif pendant la colonisation française : (1830-1962)
Dès les premières années, le pouvoir colonial ouvrit deux établissements, pour former les intermédiaires, relais intermédiaires de gestion sociale des indigènes qui, dans leur immense majorité étaient interdits d'école, ouvertes aux enfants de colons. Pour Alfred Rambaud : «La première conquête de l'Algérie a été accomplie par les armes La seconde conquête a consisté à faire accepter par les indigènes notre administration et notre justice. La troisième conquête se fera par l'école. Elle devra assurer la prédominance de notre langue sur les divers idiomes locaux, inculquer aux musulmans l'idée que nous avons nous même de la France et de son rôle dans le monde». 9
L'État colonial a pris en charge une partie de l'enseignement de l'arabe par la création des trois médersas dès 1850. Ces médersas seront réorganisées en 1895 afin de produire les cadres nécessaires au fonctionnement des appareils judiciaires et religieux restructurés par le pouvoir colonial et gardé sous son. En 1950 ces écoles assimilées à des lycées franco-musulmans.
«Le passage à Alger de Napoléon III en mai 1865, ont un moment donné l'illusion aux Algériens d'une revalorisation et d'une reconnaissance de leur statut. «La France n'est pas venu détruire la nationalité d'un peuple»... Mais le «Lobby» colon à Alger, relayé efficacement à Paris, par l'opposition à l'Empereur. Cette politique de bras de fer des colons bloqua toute velléité de développement de l'instruction. «D'après l'état d'esprit de l'époque, si l'instruction se généralisait le cri unanime serait l'Algérie aux arabes» ! C'est ainsi qu'en 1890, seuls quelques 10 000 enfants musulmans étaient scolarisés, sur 500 000 enfants en âge d'être scolarisés, soit à peine 2% ! Et ceci grâce aux efforts du ministre de l'Éducation de l'époque : Jules Ferry. L'acharnement fut à son comble, quand les écoles pour enfants indigènes se transformèrent en écoles auxiliaires dites «écoles gourbis». Le ministre Jules Ferry a dû financer à partir de Paris le fonctionnement d'une dizaine d'écoles, du fait du refus des communes coloniales d'ouvrir des écoles pour les Indigènes. Le nombre des écoliers était, l'année du centenaire de la colonisation (1930), de 60 644 enfants sur un total de 900 000, soit un peu moins de 7% ! Cette proportion atteint 302 000 élèves en 1954, à la veille du déclenchement de la révolution soit moins de 15% des enfants scolarisables». 10
L'écart est encore plus important, s'agissant du secondaire ; il n'y avait à cette époque que 6260 élèves dans le secondaire et 589 dans le supérieur ! Principalement des enfants de colons. : «En définitive à la vieille de l'indépendance, l'analphabétisme était effarant : plus de 90%, le nombre de cadres formés principalement dans les sciences sociales, humaines, et médicales à l'exclusion des filières scientifiques et technologiques était dérisoire. La Société algérienne appauvrie, et laminée par les guerres qu'elle a eu à supporter les amendes, les épidémies, les exactions de tout ordre, est sortie profondément fragilisée par la destruction comme l'écrit A. Djeghloul de ses cadres de sociabilité». 11
La réaction des élites musulmanes algériennes
«L'implantation coloniale a très vite visé les structures sociales par une politique de la terre brûlée et de l'expropriation suivi d'un prosélytisme chrétien militant. C'est ainsi que la déculturation s'est généralisée et elle est devenue même irréversible. Dès 1946-1848 le recul est qualifié de «considérable». À cette date, c'est toute une génération qui échappe à l'instruction coranique... À Constantine, le nombre des effectifs des élèves tombe de 600 à 60 et celui des écoles de 86 à 30». 12
Le pouvoir colonial propose l'assimilation c'est-à-dire le candidat doit être en errance identitaire et religieuse. Ainsi, le Sénatus Consulte du 14 juillet 1865 stipule que : «l'indigène peut sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas il est régi par les lois civiles et politiques de la France». Tout Algérien tenté par cette démarche s'expose à une dangereuse situation pratiquement irréversible, il doit renoncer à son identité culturelle et à sa foi et tôt ou tard ses attaches sociales. Cependant cette entreprise d'enseignement dirigé recelait en elle les germes de la sédition, scolariser, c'est renforcer la colonisation, mais dans le même temps cette dernière est mise en péril par une intelligentsia naissante et revendicatrice. Comme l'écrit, d'ailleurs, le gouverneur Tirman : «l'hostilité de l'Indigène se mesure à son degré d'instruction». Cet état de chose amène graduellement une réaction des lettrés Algériens qu'ils soient francisés ou totalement arabophones.
On doit aux Oulémas (Association des Oulémas d'Algérie) sous la direction de Abdelhamid Benbadis, cette tentative, de ne pas laisser le peuple dans l'ignorance, en mettant en œuvre dans les années trente un système éducatif parallèle qui a pu permettre de sauver près de 40 000 Algériens à la veille de l'indépendance, et ceci malgré tous les blocages et relatives tolérances du pouvoir colonial.
La déculturation généralisée
Tout naturellement, c'est dans une perspective d'assimilation que le régime envisage l'instruction publique de certaines couches sociales. Comme le reconnaissent les officiels de l'époque : «On offre à l'enfant indigène une instruction française qui le tire en apparence de son milieu, mais le laisse ensuite désarmé, incapable de se faire entre une civilisation qui l'abandonne et une barbarie qui le reprend». 13
«Pour pouvoir mesurer cette soif d'apprendre, il est important d'avoir en tête les chiffres tout au long de la colonisation, des élèves admis dans le système éducatif français. Pour l'année 1952, nous disposons du parc d'établissements scolaires ; les chiffres consolidés pour les trois départements français donnent au total 1697 écoles primaires principalement pour les enfants européens, 188 cours complémentaires et lycées». 14
«Bien entendu, ces écoles, et lycées étaient en priorité réservés aux enfants des colons européens, des juifs émancipés depuis les décrets d'Adolphe Isaac Crémieux et en dernier lieu aux indigènes. Nous donnons quelques éléments de repère concernant la répartition des enfants par sexe et entre européens et indigènes». 15
En 1962 le nombre d'enfant scolarisés soit 513 911 élèves ne représentent en fait qu'un seizième soit 6.2% de la population totale et environ 20% de la population en âge d'être scolarisée. L'enseignement public destiné aux populations autochtones est très limité, tandis qu'un réseau scolaire séparé (et largement mieux équipé) existe pour les enfants européens et les colons. Avant 1962, très peu d'Algériens atteignent le lycée : souvent moins de 1% de la jeunesse algérienne atteint ce niveau, tandis que la majorité des lycéens sont d'origine européenne, si l'on rapporte le nombre d'élèves aux populations respectives, l'écart en termes de proportion d'enfants scolarisés reste massif en faveur de la métropole (France) et des enfants européens en Algérie.
Les causes des inégalités éducatives sont connues : la politique coloniale de priorisation d'un enseignement pour les colons et d'un accès sélectif pour les autochtones. Les ressources : infrastructures scolaires, enseignants formés, matériels et financement sont concentrés sur l'enseignement réservé aux Européens. La brusque montée des effectifs à la fin de la guerre de libération est due à la politique du général de Gaulle avec le lancement du plan, de Constantine. Ce faible taux d'alphabétisation pèsera lourdement à l'indépendance (1962). Pénurie de cadres techniques et administratifs formés parmi la population autochtone au moment de la transition. Il y eut un besoin massif de développement éducatif après l'indépendance pour rattraper le retard (création d'écoles, formation d'enseignants, alphabétisation, expansion du secondaire et du supérieur).
Comparaison du système éducatif : France et Algérie (1830-1962)
«Pour avoir une idée de l'offre de savoir en Algérie et en France, nous avons recueilli des données qui montrent le gouffre abyssal entre des «citoyens à part entière» et des «indigènes» taillables, corvéables, chair à canon, pour défendre la France dans 9 guerres, tirailleurs bétons pour reconstruire la France mais qui doivent cependant rester analphabètes.. Entre 1830 et 1962, les trajectoires éducatives de la France et de l'Algérie divergent profondément : la métropole construit, progressivement une école de masse tandis que l'Algérie coloniale se caractérise par une scolarisation marginale pour les populations autochtones et par une séparation nette entre écoles pour Européens et autochtones». 16
«En effet, en France les lois Jules Ferry, 1881-1882) établissent l'école primaire gratuite, laïque et obligatoire. Jules Ferry a essayé vainement de mettre l'école obligatoire, en vain En France en 1954, la population scolarisée (toutes filières confondues) était de 7,715 millions, dépassant les 12 millions en 86% des garçons et 93% des filles de 14 ans. S'agissant de l'université En 1900 ≈ 29 900 étudiants dans l'université française ≈ 78 000 étudiants. En 1950 1960 : environ 310 000 étudiants En 2006, la France formait environ 30 000 ingénieurs par an via écoles d'ingénieurs, tous cycles confondus.
En Algérie, l'enseignement supérieur était une vue de l'esprit. L'Université d'Alger, créé en 1909 pour la formation de ses cadres accueillait à dose homéopathique les Algériens. En 1900 : environ 29 étudiants indigènes à l'Université d'Alger En 1930-1939 : ≈ 100 étudiants indigènes/an. En 1938, seuls 991 élèves musulmans étaient scolarisés au secondaire, contre 13 229 Européens. En 1938, 94 étudiants musulmans contre 2138 Européens. On note que, vers 1954-55, parmi les inscrits à l'Université d'Alger, moins de 10% étaient musulmans. En 1955-56 : ≈ 500 étudiants musulmans à l'Université d'Alger (≈ 11,4% du total d'environ 5000 étudiants». 16
Dans le domaine des sciences, citons les deux établissements. De 1880-1962 : l'École d'agronomie avait formé 1600 élèves dont 5 ingénieurs d'origine algérienne. En 1925 était créé l'Institut Industriel d'Algérie, qui deviendrait École d'Ingénieurs en1958. Le nombre de diplômés algériens était insignifiant. En septembre 1962 l'École devient l'ENIA et ensuite l'École Nationale Polytechnique en 1966. La rareté des cadres ingénieurs a été un grand problème à l'indépendance. Algérie fera appel à l'UNESCO, ce qui permit d'avoir des enseignants de qualités qui ont enseigné à l'École Polytechnique d'Alger. Il y eut aussi des enseignants français (VSNA volontaire du Service Actif) et des enseignants des pays de l'Est très compétents (Russie, Roumanie, Bulgarie.) L'Algérie a fait appel à la coopération des pays arabes (Égyptiens, Syriens, Irakiens). D'une manière plus générale, l'Université d'Alger accueillait environ 500 étudiants algériens à la veille de l'indépendance (1962), dont seulement une minorité dans les filières scientifiques ou techniques. En Algérie le nombre de diplômés en sciences/ingénierie était très faible avant 1962. Le pouvoir colonial encourageait les filières de sciences sociales (droit, administration, et médecine) 500 étudiants indigènes à l'Université, avec peu d'ingénieurs.
Productivité du système éducatif colonial
Le pouvoir colonial avait bien compris que la seule façon d'asservir le peuple algérien était de le rendre analphabète. C'est un fait que la déstructuration de la société algérienne a eu de multiples conséquences, toutes plus dramatiques les unes que les autres. La période coloniale s'est terminée sur une longue guerre atroce qui s'est terminée dans la douleur pour le peuple algérien. Comme conséquence de la production du système éducatif français pour les Algériens, pendant la période coloniale. Les résultats sont dérisoires, comme le montre les données suivantes 17 : Diplômés totaux jusqu'en 1962 : 354 avocats, 185 P.E.S. 28 techniciens, 4 ingénieurs, ~350 médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes.
Le miracle du système éducatif algérien
Si nous devons comparer les efforts surhumains de l'Algérie quelques chiffres en deux fois moins de temps, 1000 fois plus de diplômés : Éducation Nationale 12 millions d'élèves, dans 30 000 Ecoles CEM et 3000 lycées Formations professionnelles 600 000 élèves dans 100 établissements, 1.8 million d'étudiants et d'étudiantes (55%) dans 100 Établissements d'Enseignements supérieurs (50 universités, 30 Centres universitaires et Instituts, 20 grandes Écoles. 100 centre de recherches. 450 cités Universitaires. Plus de quatre millions de diplômés. Sur la plan quantitatif, la force de l'Algérie est d'avoir investi près de 20% de son budget dans le savoir. Il reste que sur le plan qualitatif des choses doivent être revus pour améliorer le niveau global en insistant particulièrement sur la formation d'ingénieurs, pour former d'ici 2030 50 000 ingénieurs par an. Ce sera le vrai ticket d'entrée dans les BRICS.
L'Algérie et le rayonnement de la langue française
C'est donc un fait, 132 ans de retard culturel et technologique ne peuvent être épongés du jour au lendemain. Notre retard actuel dans tous les domaines est imputable à notre longue nuit coloniale. Qui sait si nous n'aurions pas pu évoluer différemment ? Plusieurs dizaines de milliers des meilleurs fils de l'Algérie sont morts pour la France, dans les 9 guerres où l'Algérien s'est battu pour un pays qui lui reconnait pas le droit du sang versé. Il y a là matière à méditation pour un véritable mea culpa qui ne peut-être absous par la vision actuelle réductrice et surtout encore nostalgique du bon temps des colonies.
En 1962, à l'indépendance, le taux d'analphabétisme dépassait 85%. Après l'indépendance l'Algérie a fait beaucoup pour le français, souvent plus que d'autres pays francophones, puisqu'elle a formé plusieurs générations dans cette langue. En clair : l'Algérie a participé au rayonnement du Français. Une estimation rapide montre que l'Algérie a formé près de 65 millions de locuteurs de la langue française, imprégnés culturellement, consommant «français» allant en tourisme en France, notamment au Louvres pour aller contempler les pièces archéologiques et anthropologiques spoliés à l'Algérie et ceci dépensant des centaines millions de dollars. Tout cet apport invisible de l'Algérie pour la France, est sans aucune compensation En fait cela ressemble à une post-colonisation qu'il faudra bien inventorier !
Par ailleurs, l'extrême droite française fait de la fixation sur l'émigration et les OQTF, mais nous n'avons pas vu ou entendu d'émissions sur l'apport des diplômés algériens dans le rayonnement de la France. Il n'y a pas que les OQTF, il y aussi les diplômés qui reviennent à l'Algérie à 100 000 dollars par diplôme selon les normes UNESCO. C'est un fait que la France continue a largement bénéficié de cet apport. Cela a vidé l'Algérie de son capital humain formé à grands sacrifices. Il serait éminemment juste que pour chaque diplômé algérien recruté en France une compensation financière soit prévue si on veut aller dans le sens de l'histoire et réparer, dans une certaine mesure, la faute le plus criarde de la colonisation.
Enfin, le parachèvement du crime absolu contre le savoir fut la destruction systématique des lieux de connaissance en Algérie. Parmi eux le crime ultime : le 5 juillet 1962, 600 000 volumes sont partis à l'université d'Alger. On sait que la France a participé à la renaissance de la Bibliothèque d'Alexandrie dans les années 1980-90, en Égypte, pays majoritairement anglophone. Le listing de toutes les dettes, notamment les dettes morales, permettra l faut l'espérer de tracer un chemin. La dette morale de la France pourrait se payer en savoir, en institutions, en financements éducatifs et en circulation équitable des compétences. La construction par la France d'un grand temple du savoir en Algérie serait un premier pas : vers l'apaisement des mémoires voire un prélude à la réconciliation. Cette réparation symbolique ce n'est pas un solde de tout compte mais une contribution à bâtir l'avenir.
Conclusion
Si on devait, objectivement trouver quelque attrait à la présence française en Algérie, nous ne sommes pas ingrats, nous sommes reconnaissants aux hommes et aux femmes ces hussards noires de la République géants de l'empathie, du juste combat. Ils ont transcendé les interdits pour venir enseigner inlassablement la paix, la tolérance, le respect de la dignité humaine. Assurément, ces hommes et ces femmes qui ont risqué leur vie, tournant le dos à une vie de confort et de compromission, ils et elles ont largement leur place parmi les «Justes» car ils ont aidé l'Algérie dans sa détresse séculaire.
Les vrais combats sont donc ceux du contenu du savoir. Nous devons aller résolument vers l'anglais. Ce n'est pas un coup de tête, la vulgate planétaire selon le mot de Bourdieu, envahit le monde. Il n'est que de se rappeler le «drame» quand les Annales de l'Institut Pasteur sont publiées en anglais. Cependant il n'y a pas d'amateurisme en l'occurrence : il ne faut pas espérer d'un coup de baguette magique se réveiller un beau matin maitrisant la langue de Shakespeare. Il nous faut y aller à pas mesurés en priorités pour les sciences et la technologie. Sans se faire d'illusion sur les offres «gratuites» des pays anglophones, nous ne devons pas abandonner la proie ou le butin pour l'ombre. Ce serait une erreur d'abdiquer une langue même issue d'un compagnonnage douloureux, pour aller pointer en dernière position d'une métropole moyen-orientale avec laquelle nous n'avons pas d'atomes crochus pour apprendre l'anglais, qui est somme toute, un «contenant» alors que nous devons maitriser plus que jamais, c'est à dire les «contenus» indépendemment des véhicules de la connaissance.
La citation de Mandela : «Si vous parlez à un homme dans une langue qu'il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur» nous offre de parler au cœur si chacun fait l'effort de parler la langue de l'Autre. Beaucoup de réalisations par l'Algérie à son corps défendant, sans rien demander en échange. Le jour où nous verrons des lycées algériens où on apprend aux Franco-algériens qu'ils ont une autre patrie de cœur qui s'adresse à leur âme et ceci en parfaits citoyens à l'ombre des lois de la République équidistante au nom de la laïcité des espérances religieuses de chacun, ce jour-là des ponts permettront à la diaspora de jouer leur rôle de carburant positif du moteur algéro-français comme il y eut le moteur franco-allemand. Ce jour-là, on comprendra que la France reconnait ses fautes et veut tracer avec l'Algérie un chemin vers le futur dans l'égale dignité de nos deux peuples.
Professeur Chems Eddine Chitour
Article de référence : elmoudjahid.com
- E. Guernier, «La Berbèrie, l'Islam et la France». Editions de l'Union Française. p.97 (1953).
- G. Perville, «Les étudiants algériens de l'université française», 1880-1962, Ed. Casbah (1997).
- Sédillot, «Histoire générale des Arabes», 2ème édition, tome 1, p.156. (1877).
- Comte d'Herisson, «La chasse à l'homme», pp 10-11. Edit. P. Ollendorf. Paris.
- Pélissier de Reynaud, «Annales Algériennes». (1856).
- Egreteau, «Réalités de la nation algérienne». Editions sociales. Paris. (1961).
- S. Gsell, «Histoire et Historiens du centenaire». Collections du Centenaire. Alger. (1930).
- M. Lacheraf, «L'Algérie, Nation et Société». Editions Maspero. p.245. Paris. (1965).
- A. Rambaud dans Fanny Colonna in Instituteurs Algériens 1883-1939. Eds O.P.U. (1975).
- Ch. Robert Ageron, «Histoire de l'Algérie contemporaine», Ed. Que sais-je ? (1966).
- A. Djeghloul, «Lettrés intellectuels en Algérie : 1880-1950». Edts O.P.U. p. 4. (1988).
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- D. Sari, Kaddache, «L'Algérie dans l'histoire, vol.5». Editions OPU. p.240. (1989).
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- chatgpt.com
- C.E. Chitour, «Le passé revisité». Editions Casbah. Alger (1998).